Uncle Frank!
jeudi 3 novembre 2011
Vous, je sais pas, mais moi, Frank Zappa, c'est quelqu'un qui compte VRAIMENT pour moi.
Et puis, pour une fois que je casse pas du sucre sur le dos des idoles bidon qui m'énervent à juste titre, profitez-en. Doucement, pas de bousculade! J'ai dit: DU CALME!
En 1968, j'ai "pris mon autonomie" en matière de musique; c'est-à-dire que je suis passé d'une écoute passive (télé, radio, disques de mes parents & disques reçus en cadeau...) à une écoute active, où je choisissais ce que j'écoutais.
Les faits simultanés qui ont déterminé la transition passif->actif sont d'une part l'upgrade "familial" & l'upgrade "paternel".
Le familial, c'est l'achat de remplacement du (poste à) transistor(s) Schneider (lui-même upgrade/passage de l'imposant poste de TSF à lampes lourd, volumineux et, comme les "lampes" ont besoin de très hautes tensions, dépendant du secteur + passage du 120V au 220V, auto-transfo & tout le toutim au poste alimenté par piles, qu'on pouvait trimballer partout avec soi) par un transistor de même gabarit, mais doté de la FM, donc d'une qualité de son très nettement meilleure. Du coup, sans léser qui que ce soit, j'ai récupéré à mon seul usage le Schneider, quitte à piocher dans mon argent de poche pour en changer les piles. Ce qui se soldait par des cures sans radio quand les finances venaient à manquer.
Le paternel, je l'appelle comme ça parce que mon père avait acheté un magnétophone Uher 4000L, à transistors, rendant un poil désuet (on dit "obsolète", duglu! Avec un seul "t", comme "Mobylette" et clé à molette; tu pourrais parler le français d'aujourd'hui, vieux snob!). Un achat couillon, mais mon père aime bien les achats couillons. Cependant, c'était super pour moi, parce que je pouvais disposer à ma guise du Melovox à lampes, considéré comme "portable" du fait qu'il était muni d'une poignée genre valise. A part ça, ça faisait bien ses 15 kilos.
Avec tout ça, j'avais pour moi-même-tout-seul-rien-qu'à-moi-perso une installation audio dont on a une description exhaustive ici.
J'étais encore au lycée, en 1ère ou en Term' quand j'ai connu Zappa, donc en 1969 ou 1970. Voilà qui nous rajeunit: ya pas de mal à se faire du bien.
Je l'ai entendu, Zappa, dans l'émission "17-19 sur 18-29", ça rappellera peut-être quelque chose aux vieillards comme moi. 17-19, parce que ça passait entre 17 et 19 heures, facile à deviner, et 18-29, parce que c'est sur cette LONGUEUR D'ONDE, 1829 mètres Ondes Longues, qu'émettait France-Inter. Hé oui, à cette époque-là, la FM (modulation de fréquence, Frequency Modulation), bien peu de récepteurs en étaient équipés; et n'émettaient alors en FM que les radios d'état: France-Cul', France-Mu' et France-Inter. Ce qui était, somme toute confortable. Quand ça s'est libéralisé, et j'ai milité pour, ont proliféré des radios "libres", c'est-à-dire un tas de merdes inaudibles et débiles. Grosse déception. LONGUEUR D'ONDE, voilà une expression tombée en désuétude, utilisée du temps de la modulation d'amplitude, parce que plus "parlante" que les fréquences, vu que cela donnait une idée de la longueur de l'antenne des émetteurs. Celui d'Allouis, une petite commune de Sologne (pas loin du radio-télescope de Nançay), c'était l'émetteur des radios contrôlées par l'état, d'où le nom de "périphériques" pour les autres (Monaco pour RMC, le Luxembourg pour RTL, etc.). Et une de ses antennes, celle de France-Inter, faisait bel et bien 1829m, j'ai eu l'occasion de la longer à vélo.
En FM, on cause en MHz, parce que c'est plus pratique, et aussi parce que ça donne des longueurs d'ondes ridicules; très dévalorisant quand on veut être une GRANDE radio. C'est un peu comme la longueur des bites: plus elle est grande...
A l'époque, donc, sur France-Inter, il y avait une émission pour les teen-agers (c'était comme ça qu'on appelait les d'jeunz), avec de la musique de d'jeunz (Nicoletta, Nicole Croisille, Johnny sévissait déjà depuis au moins six ans, Joe Dassin, Dutronc, Polnareff, 
... mais aussi The Doors, les Moody Blues, Simon & Garfunkel, the Mamas
&thePapas...) présenté par un d'jeunz: Gérard Klein
. Oui, LE Gérard Klein de "l'instit'", celui qui promenait les mômes en car sur je ne sais plus quelle chaîne (la Cinquième), et qui a fait sûrement d'autres trucs, mais j'ai pas trop suivi l'affaire. Et il lui arrivait de programmer des trucs d'enfer. Héhé, j'en ai retrouvé sur le net, ça m'a rajeuni (j'arrête pas, de rajeunir, deux fois déjà depuis le début de cet article, je vais finir ce blog en pampers 1er âge). Dans un des premiers trucs que j'ai pêchés, je crois même que c'était la première fois que j'enregistrais, ça permettra de situer dans le temps, il y avait "The letter" par les Box Tops (...Gimme a ticket for an aeroplane... my baby she wrote me a letter...), "Hole in my shoe" par Traffic (Steve Winwood..., ex Spencer Davis Group, futur Blind Faith) et "Pati, pata" de & par Myriam Makeba 
(ici avec Dizzy Gillespie), qui est resté un standard; les Box Tops un peu moins, mais on ré-entend parfois "The letter"; Steeve Winwood a fait carrière, mais il ne mobilise plus beaucoup de fans, tous inconditionnels (...et beaucoup sont morts de vieillesse:). Dommage, c'est un bon.
Et un jour, j'ai enregistré: "Let's make the water turn black". Damn! LA révélation.
http://www.youtube.com/watch?v=xvW_2YyAiUc
Auw'right, dat's awright, le son est dégueu', mais (1) ce que me restituait mon magnéto devait être pire, (2) on trouve le petit morceau qui a été shunté, un obscur censeur ayant vu dans le terme "pad" une allusion aux "pattes-à-cul", ces horribles machins que les filles se collaient au fond de la culotte à certaines périodes de l'année, ce qui les faisait bien ch': une de mes copines m'a confié que la première pensée qui lui est venue après s'être fait décapsuler l'opercule-fraîcheur, c'est "Chic! Je vais pouvoir mettre des tampax!". Elles sont comme ça, mes copines; pas du tout coincées avec moi. C'est pour ça que je les aime. Pour ça AUSSI. Quant aux censeurs, ce que je pense d'eux? La même chose qu'en pensait Zappa!
Bon, j'étais conquis. Que faire, dans un cas pareil? D'abord, essayer de piger les paroles. Gros boulot! Non seulement, c'est pas facile de comprendre les voix au timbre bizarre et trafiqué qui me bottait tant, mais en plus, je ne parlais qu'un ANGLAIS scolaire, très Oxford-Cambridgien. Et Zappa, y cause californien, avec des mots d'argot, et des mots à lui. Mais je le remercie, Zappa, parce qu'avec toutes les recherches qu'il m'a fait faire, j'ai fait des progrès considérables en anglo-saxon, même si j'étais loin de tout comprendre.
Ensuite, il s'est agi de me plonger dans tout ce que Rock&Folk, Best et les PREMIERS Actuel, fournissaient pour pouvoir dénicher tout ce qui était possible au sujet de l'animal qui avait pondu un morceau aussi génial. J'ai donc fini par trouver les références de l'album sur lequel c'était gravé. Premier obstacle vaincu. Deuxième obstacle: le disquaire! Yavait pas amazon.com à l'époque; même pas la FNAC! Déjà, et je le sais d'expérience, c'est pas toujours rapide-rapide, la FNAC. En 1993, ils m'ont fait poireauter 3 mois pour des CD qui n'avaient rien de rare, moult fois réédités, alors, à Brest en 1970... ça relève du miracle que je n'aie attendu QUE deux ans. Mais comme "...[et] le désir s'accroît quand l'effet se recule" (Polyeucte, vers 42: le prof de français sous lequel j'ai étudié la pièce insistait et répétait le vers sus-cité à l'envi, avec une lueur égrillarde dans un oeil et une étincelle de gourmandise dans l'autre; je vous en reparlerai; c'était quelqu'un de remarquable), quelle ne fut pas ma joie quand, enfin, j'ai pu tenir le chef-d'oeuvre dans mes mains tremblantes d'émotion. Et Oh! Miracle!, il y avait les paroles imprimées dessus!
Les voilà:
http://lyricskeeper.fr/fr/frank-zappa/let-s-make-the-water-turn-black.html
C'est du corsé, hein?
Alors je vais vous simplifier la vie (et comme ça, vous ferez des progrès en anglais, et c'est pas du luxe!)
http://en.wikipedia.org/wiki/We%27re_Only_in_It_for_the_Money
Ces explications ne sont pas de trop pour saisir tout le sel du texte. En première lecture, on passe forcément à côté de la totalité du sens, faute de repères biographiques, mais j'en avais saisi l'essentiel. J'étais très branché culture américaine, et je dois dire que ça m'a pas mal aidé. Même si vous avez un bon niveau d'anglais, vous allez sûrement louper des trucs, si vous ne vous renseignez pas sur le contexte de l'époque. Je vous en re-parlerai.
Si vous avez soigneusement examiné les images de la pochette, vous avez dû (enfin! si vous n'êtes pas trop incultes, mais des fois tût' demandes [Coluche]) lremarquer la ressemblance frappante avec la pochette du Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band, des Beatles. Bin ouais! C'est un pastiche, une parodie. La structure en est exactement la même, mais en BEAAAAUCOUUUUP plus délirant. C'est une pochette double, comme SPLHCB, avec les mêmes couleurs. La "page un", la principale, celle qu'on voit en fouillant dans les bacs, c'est aussi un collage; le groupe (les Mothers Of Invention) y est représenté comme le sont les Beatles, mais avec des looks qui déchirent un peu plus grave que leurs homologues anglais avec leurs costumes chamarrés de fanfare gentille. Les cuches/couettes à Frank et sa nuisette, c'est autre chose que les uniformes des Lennon/Mc'Artney(voir note bdp)/Harrison/Starr, qui avaient pourtant fait réagir à l'époque, et hurler à l'audace absolue. Ensuite, les personnages en arrière-plan, dont on reconnaît quelques célébrités (Jimi Hendrix, par exemple), je crois qu'on n'a jamais pu tous les identifier; le graphiste qui les a sélectionnés a oublié qui ils peuvent bien être. Moi aussi, j'ai essayé, mais il m'en manque, et même beaucoup. Mais c'est l'occasion d'y passer des heures de ravissement, tellement ça fourmille de détails, tellement ça suscite de curiosité, de pistes à explorer et de recherches à effectuer, mais j'aime ça, j'adore ça! Et je me fiche pas mal que vous me considériez comme un vieux maso pervers jusqu'au trognon: vous ne savez pas ce que vous ratez! Vous seriez pas un peu coincés?
Dans la pochette-partie gauche, comme dans SPLHCB, est glissée une page sur fond vert, les emblèmes-à-découper-suivant-les-pointillés des Mothers (Of Invention=MOI), en un peu plus poilant. Il y a d'abord la moustache & mouche-barbichette d'Il Maestro, une étoile genre policier-shérif (FZ n'aimait pas trop les flics) décorée en son centre d'un téton, et un billet de banque $$$ avec une photo de nombril au milieu. Du mien, de disque (pas de nombril), deux infâmes mômes dont j'aurais bien fait du pâté, ont sorti cette feuille et y ont foutu le feu. De toutes façons, vu le père à chier qu'ils ont, rien d'étonnant. Il est moche comme un cul de singe, rouquin-pisseux (il y a tant d'autres rouqins & rouquines à la tignasse superbe, je sais pas où il est allé chercher ça, je ne connais pas ses parents) et en plus il est infect, dégueulasse et salaud au possible avec les nanas, et pourtant... toutes les meufs lui tombaient dans les bras! Non, je ne suis pas jaloux! J'étais et je suis toujours féministe, vous m'avez déçu (sâââlooopes)![note: Bedos>Lenny Bruce]... Jacqueline, toi, une porcelaine, un tanagra, tu as forniqué (très fort-niqué!) avec ce... monstre? Et toi, Odile, tu as même fait un môme avec lui!!! Cette caricature!!! Cette négation d'homme... Bon! J'arrête là ma diatribe.
Le contenu musical n'est pas piqué des hannetons, non plus; ça décoiffe! Voix accélérées ou ralenties, montages en studio archi-élaborés, textes parodiques ("Flower punk" pastiche "Hey Joe!", et c'est à pisser de rire), hommages à Lenny Bruce et à ses thèmes: le "plastic" des américain(e)s moyen(ne)s, sordides, puritain(e)s et hypocrites
Lenny Bruce: "...chéri, tu peux TOUT me faire, mais défais pas mon chignon..."
FZ: "...Madge, I couldn't help'n it, I dogon' it..." ("Harry you're a beast") [censored...censored...censored]
Et, en conclusion, encore une parodie du disque des Beatles et du dernier morceau de Sgt Pepper's ("A Day In A Life") qui est un pur chef d'œuvre alla Edgar Varèse ("une sacrée dérive musicale", a dit mon ami Marc, qui n'est pas le dernier des nains en Musique). L'ORGASME!!! Du reste Varèse est explicitement cité: "the present day composer refuses to die."
Anecdote: comme cadeau d'anniversaire de ses 15 ans, FZ a demandé à ses parents de lui offrir un "long distance call". Habitant en Californie, et Varèse à New-York City, il fallait traverser tous les Etats-Unis dans sa plus grande largeur, parce que FZ voulait parler avec E. Varèse. Le mec pas-passionné-depuis-son-plus-jeune-âge.
Voilà tout ce que vous devez savoir pour aborder l'œuvre immense du Maître. Elle est immense. Elle a des ramifications qui vont aussi loin que la Tchécoslovaquie, où il est considéré comme un héros de la liberté: c'est lui qui a composé la musique de la parade de la garde nationale et même réglé la chorégraphie de la cérémonie de relève. Que dire encore? Oui, qu'il a un autre admirateur que j'admire: John Mayall, pas ce qui se fait de pire comme musicien, et surtout révélateur de talents, dont, entre autres, un obscur petit guitariste du nom d'Eric Clapton. John Mayall lui a dédié un titre, 2401, sur son album intitulé "Laurel Canyon" ("...There's a hero living at 2401..."; 2401 Laurel Canyon, c'est l'adresse de la maison de FZ). Zappa lui-même a révélé une multitude de talents. A vous de les chercher; vous en connaissez sûrement quelques-uns. Tiens, un nom: George Duke. Cherchez sur combien de disques George Duke apparaît, en plus de ceux de FZ, et regardez avec quels musiciens il a joué...
Pour aborder plus facilement le Génie, deux titres d'albums: "Apostrophe" & "Overnite Sensation"
Et "Roxy & Elsewhere", que je cite dans mon article au sujet de Nicolas Hulot, titre "Son Of Orange County" ([...and in your dreams, you can see yourself as a prophet saving the world...]
Et, pour terminer en beauté, quelque chose d'exceptionnel, que bien peu ont vu. On a parlé de chorégraphie tchèque, en voici une, pas du Maître, pas tchèque, mais avec LUI à la baguette et c'est LUI qui l'a intégrée au spectacle, avec l'Ensemble Modern (allez-donc z'y voir, si le Zappa n'y est pas... ^_^)
Frank Zappa "The G-Spot Tornado" 2
V'z'avez remarqué le bandage qu'elle a, la fille, autour du genou droit? On se demande comment elle s'est fait ça. En tout cas, le jour où je ne banderai pas en regardant ça, c'est que je serai mort.
Alors, les apprentis-mélomanes, ça boume?
Oncle Marc
(qui, là, vous a bien pris par la main et mâché le boulot, bande de petits vernis)
Trop fort, ce Tonton
1 - Acheter un Uher 4000L, en 1968 ou 1969, c'était couillon, parce que la stéréo pointait le bout de son nez et même plus. A peine acheté, son appareil était déjà archi-dépassé.
2 - J'ai vu ça un soir de 1992, sur Arte. J'avais bien remarqué qu'il était fatigué; hé bien! c'était pas la fatigue, c'était le cancer. Tel qu'on le voit sur cette vidéo, quelques heures avant, on lui transfusait les globules rouges que le crabe lui bouffait. J'ai appris son décès le 6 décembre (je pensais à ma liste de ToDo's de la journée: anniversaire de ma petite sœur, aller voir les cons habituels, au boulot...) dans une petite note à la fin du bulletin d'infos de sept heures du mat', toujours branché sur France-Inter. Ma tartine est tombée dans le café, ça m'a éclaboussé. Tant mieux, j'ai eu l'excuse pour m'essuyer la figure. C'était pas du café, c'étaient des larmes, mais y z'auraient pas compris; genre ma mère: "tu pleureras moins quand c'est ma mort qu'on t'annoncera!..." Pauv' conne, tu seras plus en état de le vérifier. Pendant deux bonnes journées, j'ai erré comme une âme en peine, les cons-habituels-au-boulot pouvaient bien être encore plus cons que d'habitude, rien à branler, et encore aujourd'hui je m'arrête to shed a tear quand me traverse la pensée que: Zappa est mort. A 53 ans. C'est jeune... Il avait dix ans de moins que mon père, né en 1930, qui va son petit bonhomme de chemin, tout en croyant que moi, j'aurai toujours dix ans tout court.
Allez, un petit dernier, pour la route